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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/51

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— 1793 - 1799 —

Lorsque Lucien était arrivé au milieu des troupes, l’état-major de son frère se montrait fort agité par une nouvelle qui courait alors dans tous les rangs. Un des soldats qui avaient accompagné le général dans la salle des Cinq-Cents, le grenadier Thomé, pressé contre une des parois de la porte d’entrée, avait eu la manche de son uniforme déchirée par un clou que les ouvriers n’avaient pas eu le temps de rabattre. Cette déchirure, lorsqu’elle fut aperçue, servit d’abord de texte aux plaisanteries des camarades. Ensuite vinrent les suppositions et les commentaires. Bientôt la sottise et la crédulité aidant, le clou fut transformé en un poignard dirigé contre le général et son escorte ; on ne se borna pas à raconter, on affirma ; les témoignages se produisirent en foule ; c’était à qui aurait vu le stylet ainsi que la main qui avait frappé. Le hasard avait donc merveilleusement disposé les esprits, quand Lucien, à la suite d’une assez longue conférence avec son frère, monte à cheval au milieu de la cour du château, et, du haut de cette tribune improvisée, harangue les troupes groupées autour de lui et de son frère ; il leur dit : « que l’immense majorité du conseil des Cinq-Cents était en ce moment sous la terreur de quelques représentants à stylets qui assiégeaient la tribune, présentaient la mort à leurs collègues, enlevaient les délibérations les plus affreuses, et osaient parler de mettre hors la loi le général chargé de l’exécution du décret rendu par le conseil des Anciens. — Au nom du peuple et comme président du conseil des Cinq-Cents, s’écria Lucien en terminant, vous, général, vous tous, soldats et citoyens qui m’entendez, je vous confie le soin de délivrer la majorité de vos représentants ! Vous ne reconnaîtrez pour législateurs de la France que ceux qui vont se rendre auprès de moi. Quant à ceux qui resteraient dans la salle, que la force les expulse ! Vive la République ! »

Cette allocution ardente empruntait une grande puissance à la position officielle de Lucien. Comme président du Con-