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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/86

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— 1800 - 1807 —

ami intime ; cet homme que je ne veux pas nommer, tant son acte est hideux et dégoûtant[1], ancien militaire, qui, depuis, avait fait le commerce à Lyon, vint offrir de le livrer pour cent mille écus. Il raconta qu’ils avaient soupé la veille ensemble... La nuit venue, l’infidèle ami conduisit les agents de police à la porte de Pichegru, leur détailla les formes de la chambre, ses moyens de défense. Pichegru avait des pistolets sur sa table de nuit, la lumière était allumée, il dormait ; on ouvrit doucement la porte avec de fausses clefs que l’ami avait fait faire exprès ; on renversa la table de nuit, la lumière s’éteignit, et l’on se colleta avec Pichegru, éveillé en sursaut ; il était très-fort ; il fallut le lier et le transporter nu ; il rugissait comme un taureau ! »

Cette arrestation, nous l’avons dit, avait eu lieu le 8 ventôse (28 février) ; le 16 germinal (6 avril) suivant, Pichegru fut trouvé mort dans sa prison ; il s’était étranglé. Pichegru n’avait pas osé braver l’éclat d’un procès où sa complicité permanente avec l’ennemi et avec l’émigration, depuis 1796, aurait été mise au grand jour : général, il avait trahi la République et son armée, qu’il fit volontairement battre et décimer par l’ennemi ; proscrit, il s’était vendu aux adversaires les plus acharnés de sa patrie, et il ne venait de rentrer en France que pour conspirer, lui, général républicain, avec des chouans devenus ses compagnons de complot. Pichegru voulut échapper à l’exposition publique de toutes ces hontes et à l’horreur de l’échafaud. L’esprit de parti accusa le Premier Consul de cette mort. L’accusation est absurde. Quel intérêt pouvait avoir Bonaparte à ce que Pichegru ne fût pas publiquement écrasé sous le poids de toutes ses trahisons, et à devancer de quelques semaines l’œuvre du bourreau ? Avait-il à craindre l’influence de l’ancien vainqueur de la Hollande ? Mais Pichegru n’avait plus la moindre action sur l’armée : sorti de

  1. Il se nommait Leblanc.