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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/9

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— 1793 - 1799 —

le comte d’Artois reçut le titre de lieutenant général du royaume.

Ce partage fait, les deux frères, fatigués du lourd et soupçonneux protectorat des cabinets de Vienne et de Berlin, quittèrent l’Allemagne. Le comte d’Artois alla à Saint-Pétersbourg solliciter de l’impératrice Catherine une intervention plus désintéressée que celle de la Prusse et de l’Autriche. Monsieur, appelé sur les côtes de Provence par les insurgés de Lyon et du Midi, et par les royalistes qui venaient de livrer Toulon aux Anglais et aux Espagnols, partit pour Gênes. Le comte d’Artois fut gracieusement accueilli par Catherine II ; cette souveraine se montra prodigue de protestations ; elle promit au prince une armée, qui ne se mit jamais en marche, et lui donna, pour s’ouvrir, en attendant, le chemin de Paris, une épée enrichie de diamants que le comte, aussitôt son retour, s’empressa de vendre 4,000 livres sterling (100,000 fr.) à un juif de Londres[1]. Monsieur, à peine arrivé à Turin, y avait appris la chute de Lyon, ainsi que la reprise de Toulon par les armées républicaines ; gendre du roi de Sardaigne, il voulut séjourner dans cette cour ; mais, obligé de la quitter après une résidence de quatre mois, il demanda vainement un asile à

  1. Voici ce qu’on lit, à propos de cette épée, dans les Mémoires du comte de Vauban :
    « C’était une épée d’or, dont le pommeau était surmonté d’un très-gros diamant, et sur la lame de laquelle étaient inscrites ces paroles : « Donnée par Dieu, pour le roi. » Cette épée avait été bénite dans la cathédrale de Saint-Pétersbourg, avec le plus grand cérémonial. À l’audience du départ, au milieu de sa cour, dans l’appareil de toute sa grandeur, l’impératrice s’avança vers le comte d’Artois, et, la donnant elle-même au prince, lui dit : « Je ne vous la donnerais pas, si je n’étais persuadée que vous périrez plutôt que de différer de vous en servir. » Le prince prit l’épée et dit, avec trop peu de physionomie : « Je prie Votre Majesté Impériale de n’en pas douter. » L’heure du diner sépara la cour. Le comte d’Esthérazy et moi ne fûmes pas plutôt seuls, qu’il me dit : « Que pensez-vous de ce que vous avez vu ? — Beaucoup de grandeur dans l’Impératrice, lui dis-je. — Oui, assurément, me répondit-il. Et M. le comte d’Artois ? — Il a reçu cette épée, lui répliquai-je, comme un homme qui ne s’en servira pas. » Je vis que le comte d’Esthérazy le craignait. »