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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/395

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Il attachait si peu d’importance à sa décision qu’il ne jugea même pas utile d’en informer le Kaw-djer.

Fort heureusement pour l’avenir de la colonie hostelienne, un autre se chargeait au même instant de faire naître les soupçons de son Gouverneur.

La veille, au moment où Patterson arrivait à son poste de faction, il ne s’y trouvait pas seul, comme il le croyait à tort. À moins de vingt mètres, Dick était couché dans l’herbe. Ce n’était, d’ailleurs, nullement pour espionner l’Irlandais qu’il était là. Le hasard avait tout fait. Dick ne s’inquiétait guère de Patterson. Quand celui-ci vint se poster à quelques pas de lui, il n’eut à son adresse qu’un regard distrait, et, tout de suite, il se remit à son absorbante occupation, qui consistait à surveiller — oh ! à titre officieux, car son âge le dispensait de la garde — les faits et gestes des Patagons, ces ennemis farouches qui faisaient énormément travailler sa jeune imagination. Si l’Irlandais eût été moins appliqué à distinguer Sirdey dans le lointain, il eût peut-être vu l’enfant, car celui-ci ne se cachait pas, et les broussailles ne le dissimulaient qu’à demi.

Par contre, Dick, ainsi qu’il a été dit, vit parfaitement Patterson, mais sans le remarquer plus qu’il n’eût remarqué une autre sentinelle hostelienne. Bientôt, du reste, il oublia sa présence, car il venait de faire une découverte extraordinaire qui absorbait toute son attention.

Qu’avait-il donc aperçu, là bas, très loin, du côté des Patagons, caché derrière un des innombrables taillis qui parsemaient les premières pentes des montagnes ? Un homme ?… Non, pas un homme, un visage. Pas même un visage, rien qu’un front et deux yeux ouverts dans la direction de Libéria. Appartenaient-ils, ce front et ces yeux, à un des Indiens dont on voyait au-delà évoluer des groupes nombreux ? Sans hésiter, Dick répondait négativement. Et non seulement il avait la certitude que ce front et ces deux yeux-là n’étaient pas ceux d’un Indien, mais encore il mettait un nom sur cette fraction de visage, un nom qui était le vrai, le nom de Sirdey.

Parbleu ! il le connaissait bien, il l’eût reconnu entre mille, ce Sirdey qui était avec les autres dans la grotte, le jour où le pauvre Sand avait failli mourir. Que venait faire là cet être abominable ? Instinctivement, Dick s’était aplati derrière les touffes