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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/396

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d’herbes. Sans savoir très bien pourquoi, il ne voulait pas être vu maintenant.

Les heures passèrent ; le long crépuscule des hautes latitudes devint peu à peu une nuit profonde. Dick resta obstinément tapi dans sa cachette, l’œil et l’oreille aux aguets. Mais le temps s’écoula sans qu’il aperçût aucune lueur, sans qu’il entendît aucun bruit. À un certain moment, cependant, il crut distinguer dans l’ombre une ombre mouvante qui rampait sur le sol et s’approchait de Patterson, il crut entendre des frôlements, des voix chuchotantes, un tintement métallique comme en produiraient des pièces d’or entrechoquées… Mais ce n’était là qu’une impression, une sensation vague et imprécise.

À la relève, l’Irlandais s’éloigna. Dick ne quitta pas son poste et, jusqu’à l’aube, tint les oreilles et les yeux ouverts aux surprises des ténèbres. Persévérance inutile. La nuit s’écoula tranquillement. Quand le soleil se leva, rien d’insolite n’était survenu.

Le premier soin de Dick fut alors d’aller trouver le Kaw-djer. Toutefois, ne sachant pas au juste si passer la nuit à la belle étoile était ou non une chose licite, avant de le mettre au courant, il tâta le terrain avec prudence. Il annonça tout d’abord :

« Gouverneur, j’ai quelque chose à vous dire…

Puis, après une suspension savante, il ajouta précipitamment :

— Mais vous ne me gronderez pas !…

— Ça dépend, répondit le Kaw-djer en souriant. Pourquoi ne te gronderais-je pas, si tu as fait quelque chose de mal ?

À une question, Dick répondit par une question. C’était un fin politique que maître Dick.

— Passer toute la nuit sur l’épaulement du Sud, est-ce mal, gouverneur ?

— Ça dépend encore, dit le Kaw-djer. C’est selon ce que tu y faisais, sur l’épaulement du Sud.

— Je regardais les Patagons, gouverneur.

— Toute la nuit ?

— Toute la nuit, gouverneur.

— Pour quoi faire ?

— Pour les surveiller, gouverneur.

— Et pourquoi surveillais-tu les Patagons ? Il y a des hommes de garde pour cela.