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Page:Vers et Prose, tome 5, mars-avril-mai, 1906.djvu/81

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qui, durant tout un jour, ont frémi de délire
infatigable dans l’usine profonde.
À l’heure où d’innombrables lunes électriques
s’allument entre les files spectrales des platanes
tout le long des maisons devenues monstrueuses
les maisons aux cent yeux braqués sur l’invisible.
C’est bien là votre gloire tragique, ville terrible,
quand les chariots bondés d’une scorie humaine
font scintiller les rails d’un pur éclat de joie,
plus pur que la lumière immobile des astres,
cependant que l’orgueil solitaire des tours
et des coupoles s’amplifie dans le ciel rouge.

Ô la sublime horreur de ces villes terribles,
à l’heure où sur les dalles recuites de chaleur
défaillent amplement les pans violets
de la robe du soir, avec un relent mou
de pourriture…
à l’heure louche où sur la porte des tavernes
s’allument les lanternes qui versent tout leur sang
lumineux sur le seuil…
sur le seuil où bientôt éclatera la rixe
effrayante, au violent boute-feu d’une injure.
Voici, l’éclair sournois de la luxure aiguise
les yeux d’un petit vieux
tâtonnant acharné aux trousses d’une pucelle.
Ses genoux las tremblotent et sa tête tressaille !
en révélant le mal subtil qui le tenaille !
Voici, le proxénète entraîne vers le noir
de l’escalier, un lourd soldat qui s’esclaffe de rire,
cependant qu’un goujat exprime tout son rut
en charbonnant sur la muraille un phallus colossal.