Aller au contenu

Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dos, la face vers les nues : car il avait voulu que le soleil continuât à regarder et l’eau du ciel à laver le signe creusé sur son front, certain que jamais ni les aigles, ni les vautours n’oseraient manger sa chair.

Mais voici que des confins du désert accourt un ange, un cavalier, traînant après lui toutes les bêtes de la terre et du firmament. Il charge d’imprécations Hénokhia, monceau d’orgueil, la ville du vagabond révolté, le sépulcre du maudit. Il lui annonce que la mer se gonfle pour exterminer la race carnassière de Celui qui ne sut ni fléchir, ni prier, et appelant trois fois par son nom le silencieux dormeur il lui crie toute sa haine.

Sous l’injure et l’affront, Qaïn se dresse lentement ; il se dresse debout sur le lit granitique où il dort depuis dix siècles et impose silence aux cavaliers et aux bêtes : — Je veux parler aussi, dit-il, afin que tous vous sachiez, barbares stupides, que vous êtes,


Ce que dit le Vengeur Qaïn au Dieu jaloux.


Alors il raconte son histoire. Il redit l’innocence du monde, le chant des bois épanouis sous la gloire des cieux, la tranquillité des soirs dans les brouillards dorés, l’inépuisable joie émanant de la vie, et la femme à jamais vénérée, qui en un long baiser multiplie l’homme immortel. Il rappelle ensuite la malédiction qui chasse ses parents du Paradis et l’heure sinistre de sa naissance :


Celui qui m’engendra m’a reproché de vivre,
Celle qui m’a conçu ne m’a jamais souri.