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Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/310

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par Thogorma sur une peau d’onagre, d’autres auteurs, par exemple celui du Roman de la Momie, pour citer seulement celui-là, avaient imaginé, par une fiction très analogue, de donner à leur récit les apparences d’une narration authentique. Avant Leconte de Lisle, Hugo avait déjà fait construire par les enfants de Caïn le sépulcre de leur père : il est vrai que Hugo ayant enfoui Caïn au plus profond de la terre, Leconte de Lisle le couche sur le sommet d’une tour, face au ciel ; mais peut-être n’aurait-il point eu l’idée de mettre son héros en plein air si son devancier n’avait pas eu l’idée opposée : car imiter consiste souvent à prendre le contrepied de son modèle.

Enfin, si le principal intérêt du poème est que le premier homicide y soit le porte-parole de l’humanité, est-ce Leconte de Lisle qui a eu lui-même l’idée de réhabiliter ainsi celui que Dieu avait marqué au front de son signe ? Il faut croire que l’écho soulevé par les œuvres les plus retentissantes n’est pas long à s’éteindre. Car j’ai vu souvent Qaïn comparé au Prométhée d’Eschyle, — parallèle très indiqué, si Hénokhia, comme on l’a dit, est « aussi énorme que le Caucase », si « Mercure n’est pas plus lâche que le Cavalier », si le cri de Qaïn est plus tragique encore que celui du « Titan voleur de feu[1] » ; — mais je ne me souviens pas d’avoir jamais vu le poème de Leconte de Lisle rapproché d’une œuvre peu antérieure à la sienne cependant, qu’on avait, comme elle, comparée au Prométhée, et qui avait suscité, comme elle, chez les croyants, de

  1. Jules Lemaître, ouv. cité.