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Page:Vibert - Pour lire en automobile, 1901.djvu/34

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batterie ses canons, de la Place de la Concorde, en ligne devant la Rue Royale.

Quand Alfred, l’écume débordant de sa bouche, les yeux en sang, beau et terrible dans son horreur, déboucha devant l’église de la Madeleine, il hésita une seconde, l’espace d’un éclair, et se jeta éperdument dans la rue Royale. Le vieux gouverneur des Invalides poussa un cri de victoire qui fit tomber son nez en argent ; il attendit cinq secondes — cinq siècles ! — le soleil lui-même semblait s’être arrêté pour contempler cette scène et les fontaines de la Place de la Concorde arrêtaient spontanément leur chanson cristalline.

Quand l’éléphant fut au coin de la rue Saint-Honoré :

— Feu ! commanda le vieux gouverneur des Invalides ; et une décharge effroyable à mitraille faucha Alfred, le coupa en deux, alla faire voler en éclats les marches de la Madeleine, à travers les grilles fermées.

Paris était sauvé, mais l’on compta trente-sept morts, écrasés dans la foule, et neuf cent quatre-vingt-onze blessés ; quant à la biche jetée sur la barricade, elle en fut quitte pour une jambe cassée.

C’est de ce jour que, en prévision d’un nouvel éléphant enragé, le préfet de la Seine a fait entourer les arbres de grilles de fer protectrices. La bureaucratie ne perd jamais ses droits !

Les gens qui en firent une maladie furent légions et se comptèrent par milliers et c’est pourquoi j’ai tenu à vous reconter aujourd’hui cette véridique et terrifiante histoire d’une époque déjà lointaine !