Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/127

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LE PRÊTRE.

Vous avez moins souffert qu’il ne l’a fait lui-même.
Votre dernier soupir sera-t-il un blasphème ?
Et quel droit avez-vous de plaindre vos malheurs,
Lorsque le sang du Christ tomba dans les douleurs ?
Ô mon fils, c’est pour nous, tout ingrats que nous sommes,
Qu’il a daigné descendre aux misères des hommes ;
A la vie, en son nom, dites un mâle adieu.

LE MOURANT.

J’étais peut-être Roi.

LE PRÊTRE.

                                    Le sauveur était Dieu ;
Mais, sans nous élever jusqu’à ce divin Maître,
Si j’osais, après lui, nommer encor le prêtre,
Je vous dirais : Et moi, pour combattre l’enfer,
J’ai resserré mon sein dans un corset de fer ;
Mon corps a revêtu l’inflexible cilice,
Où chacun de mes pas trouve un nouveau supplice.
Au cloître est un pavé que, durant quarante ans,
Ont usé chaque jour mes genoux pénitents.
Et c’est encor trop peu que de tant de souffrance
Pour acheter du Ciel l’ineffable espérance.
Au creuset douloureux il faut être épuré
Pour conquérir son rang dans le séjour sacré.
Le temps nous presse ; au nom de vos douleurs passées,