Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/129

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Qu’on racontait de lui des choses merveilleuses,
De berceau dérobé, de craintes orgueilleuses,
De royale naissance, et de droits arrachés,
Et de ses jours captifs sous un masque cachés.
Quelques pères disaient qu’à sa descente en France,
De secouer ses fers il conçut l’espérance ;
Qu’aux geôliers un instant il s’était dérobé,
Et, quoiqu’entre leurs mains aisément retombé,
L’on avait vu ses traits ; et qu’une Provençale,
Arrivée au couvent de Saint-François de Sale
Pour y prendre le voile, avait dit, en pleurant,
Qu’elle prenait la Vierge et son Fils pour garant
Que le Masque de fer avait vécu sans crime,
Et que son jugement était illégitime ;
Qu’il tenait des discours pleins de grâce et de foi,
Qu’il était jeune et beau, qu’il ressemblait au roi,
Qu’il avait dans la voix une douceur étrange,
Et que c’était un prince ou que c’était un ange.
Il se souvint encor qu’un vieux bénédictin,
S’étant acheminé vers la tour, un matin,
Pour rendre un vase d’or tombé sur son passage,
N’était pas revenu de ce triste voyage :
Sur quoi, l’abbé du lieu pour toujours défendit
Les entretiens touchant le prisonnier maudit !
« Nul ne devait sonder la récente aventure ;
« Le Ciel avait puni la coupable lecture
« Des mystères gravés sur ce vase indiscret. »
Le temps fit oublier ce dangereux secret.