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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/130

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Le prêtre regardait le malheureux célèbre ;
Mais ce cachot tout plein d’un appareil funèbre,
Et cette mort voilée, et ces longs cheveux blancs,
Nés captifs et jetés sur des membres tremblants,
L’arrêtèrent longtemps en un sombre silence.
Il va parler enfin ; mais, tandis qu’il balance,
L’agonisant du lit se soulève et lui dit :
« Vieillard, vous abaissez votre front interdit ;
Je n’entends plus le bruit de vos conseils frivoles ;
L’aspect de mon malheur arrête vos paroles.
Oui, regardez-moi bien, et puis dites, après,
Qu’un Dieu de l’innocent défend les intérêts ;
Des péchés tant proscrits, où toujours l’on succombe,
Aucun n’a séparé mon berceau de ma tombe ;
Seul, toujours seul, par l’âge et la douleur vaincu,
Je meurs tout chargé d’ans, et je n’ai pas vécu.
Du récit de mes maux vous êtes bien avide :
Pourquoi venir fouiller dans ma mémoire vide,
Où, stérile de jours, le temps dort effacé ?
Je n’eus point d’avenir et n’ai point de passé ;
J’ai tenté d’en avoir ; dans mes longues journées,
Je traçais sur les murs mes lugubres années ;
Mais je ne pus les suivre en leur douloureux cours.
Les murs étaient remplis, et je vivais toujours.
Tout me devint alors obscurité profonde ;
Je n’étais rien pour lui, qu’était pour moi le monde ?
Que m’importaient des temps où je ne comptais pas ?
L’heure que j’invoquais, c’est l’heure du trépas.
Écoutez, écoutez : quand je tiendrais la vie