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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/132

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Un nouveau zèle alors ralluma ses discours.
« Ô mon fils ! criait-il, votre vie eut son cours ;
« Heureux, trois fois heureux, celui que Dieu corrige !
« Gardons de repousser les peines qu’il inflige :
« Voici l’heure où vos maux vous seront précieux,
« Il vous a préparé lui-même pour les cieux.
« Oubliez votre corps, ne pensez qu’à votre âme ;
« Dieu lui-même l’a dit : — L’homme né de la femme
« Ne vit que peu de temps, et c’est dans les douleurs. —
« Ce monde n’est que vide et ne vaut pas des pleurs.
« Qu’aisément de ses biens notre âme est assouvie !
« Me voilà, comme vous, au bout de cette vie ;
« J’ai passé bien des jours, et ma mémoire en deuil
« De leur peu de bonheur n’est plus que le cercueil.
« C’est à moi d’envier votre longue souffrance,
« Qui d’un monde plus beau vous donne l’espérance ;
« Les anges à vos pas ouvriront le saint lieu :
« Pourvu que vous disiez un mot à votre Dieu,
« Il sera satisfait. » Ainsi, dans sa parole,
Mêlant les saints propos du livre qui console,
Le vieux prêtre engageait le mourant à prier,
Mais en vain : tout à coup on l’entendit crier,
D’une voix qu’animait la fièvre du délire,
Ces rêves du passé : Mais enfin je respire !
Ô bords de la Provence ! ô lointain horizon !
Sable jaune où des eaux murmure le doux son !
Ma prison s’est ouverte. Oh ! que la mer est grande !
Est-il vrai qu’un vaisseau jusque là-bas se rende ?
Dieu ! qu’on doit être heureux parmi les matelots !