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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/133

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Que je voudrais nager dans la fraîcheur des flots !
La terre vient, nos pieds à marcher se disposent,
Sur nos mâts arrêtés les voiles se reposent.
Ah ! j’ai fui les soldats ; en vain ils m’ont cherché ;
Je suis libre, je cours, le masque est arraché ;
De l’air dans mes cheveux j’ai senti le passage,
Et le soleil un jour éclaira mon visage.
— Oh ! pourquoi fuyez-vous ? Restez sur vos gazons,
Vierges ! continuez vos pas et vos chansons ;
Pourquoi vous retirer aux cabanes prochaines ?
Le monde autant que moi déteste donc les chaînes ?
Une seule s’arrête et m’attend sans terreur :
Quoi ! du Masque de fer elle n’a pas horreur !
Non, j’ai vu la pitié sur ses lèvres si belles,
Et de ses yeux en pleurs les douces étincelles.
— Soldats ! que voulez-vous ? quel lugubre appareil !
J’ai mes droits à l’amour et ma part au soleil ;
Laissez-nous fuir ensemble. Oh ! voyez-la ! c’est elle
Avec qui je veux vivre, elle est là qui m’appelle ;
Je ne fais pas le mal ; allez, dites au roi
Qu’aucun homme jamais ne se plaindra de moi ;
Que je serai content si, près de ma compagne,
Je puis errer longtemps de montagne en montagne,
Sans jamais arrêter nos loisirs voyageurs !
Que je ne chercherai ni parents ni vengeurs ;
Et, si l’on me demande où j’ai passé ma vie,
Je saurai déguiser ma liberté ravie ;
Votre crime est bien grand, mais je le cacherai.
Ah ! laissez-moi le Ciel, je vous pardonnerai.