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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/183

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Trois vaisseaux de haut bord — combattre une frégate !
Est-ce l’art d’un marin ? le trait d’un amiral ?
Un écumeur de mer, un forban, un pirate,
N’eût pas agi si mal !

N’importe ! elle bondit, dans son repos troublée,
Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs,
Et rendit tous les coups dont elle était criblée,
Feux pour feux, fers pour fers.

Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes,
Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron,
S’enfonçaient dans le bois, comme au cœur des grands ormes
Le coin du bûcheron.

Un brouillard de fumée où la flamme étincelle
L’entourait ; mais le corps brûlé, noir, écharpé,
Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle,
Comme un serpent coupé.

Le soleil s’éclipsa dans l’air plein de bitume.
Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit ;
Et lorsque la nuit vint sous cette ardente brume
On ne vit pas la nuit.

Nous étions enfermé comme dans un orage :
Des deux flottes au loin le canon s’y mêlait ;
On tirait en aveugle à travers le nuage :
Toute la mer brûlait.