Aller au contenu

Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Mais, quand le jour revint, chacun connut son œuvre.
Les trois vaisseaux flottaient démâtés, et si las
Qu’ils n’avaient plus de force assez pour la manœuvre ;
Mais ma Frégate, hélas !

Elle ne voulait plus obéir à son maître ;
Mutilée, impuissante, elle allait au hasard ;
Sans gouvernail, sans mât, on n’eût pu reconnaître
La merveille de l’art !

Engloutie à demi, son large pont à peine,
S’affaissant par degrés, se montrait sur les flots ;
Et là ne restaient plus, avec moi capitaine,
Que douze matelots.

Je les fis mettre en mer à bord d’une chaloupe,
Hors de notre eau tournante et de son tourbillon ;
Et je revins tout seul me coucher sur la poupe
Au pied du pavillon.

J’aperçus des Anglais les figures livides,
Faisant pour s’approcher un inutile effort
Sur leurs vaisseaux flottants comme des tonneaux vides,
Vaincus par notre mort.

La Sérieuse alors semblait à l’agonie :
L’eau dans ses cavités bouillonnait sourdement ;
Elle, comme voyant sa carrière finie,
Gémit profondément.