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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/40

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Jamais les purs esprits, enfants de la lumière,
De ces trois régions n’atteignent la dernière ;
Et jamais ne s’égare aucun beau séraphin
Sur ces degrés confus dont l’Enfer est la fin.
Même les chérubins, si forts et si fidèles,
Craignent que l’air impur ne manque sous leurs ailes,
Et qu’ils ne soient forcés, dans ce vol dangereux,
De tomber jusqu’au fond du chaos ténébreux.
Que deviendrait alors l’exilé sans défense ?
Du rire des démons l’inextinguible offense,
Leurs mots, leurs jeux railleurs, lent et cruel affront,
Feraient baisser ses yeux, feraient rougir son front.
Péril plus grand peut-être il lui faudrait entendre
Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre,
Quelque regret du Ciel, un récit douloureux
Dit par la douce voix d’un ange malheureux.
Et même, en lui prêtant une oreille attendrie,
Il pourrait oublier la céleste patrie,
Se plaire sous la nuit et dans une amitié
Qu’auraient nouée entre eux les chants et la pitié.
Et comment remonter à la voûte azurée,
Offrant à la lumière éclatante et dorée
Des cheveux dont les flots sont épars et ternis,
Des ailes sans couleurs, des bras, un col brunis,
Un front plus pâle, empreint de traces inconnues
Parmi les fronts sereins des habitants des nues,
Des yeux dont la rougeur montre qu’ils ont pleuré,
Et des pieds noirs encor d’un feu pestiféré ?