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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/57

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Sur la neige des monts, couronne des hameaux,
L’Espagnol a blessé l’aigle des Asturies,
Dont le vol menaçait ses blanches bergeries ;
Hérissé, l’oiseau part et fait pleuvoir le sang,
Monte aussi vite au ciel que l’éclair en descend,
Regarde son Soleil, d’un bec ouvert l’aspire,
Croit reprendre la vie au flamboyant empire ;
Dans un fluide d’or il nage puissamment,
Et parmi les rayons se balance un moment ;
Mais l’homme l’a frappé d’une atteinte trop sûre ;
Il sent le plomb chasseur fondre dans sa blessure ;
Son aile se dépouille, et son royal manteau
Vole comme un duvet qu’arrache le couteau.
Dépossédé des airs, son poids le précipite ;
Dans la neige du mont il s’enfonce et palpite,
Et la glace terrestre a d’un pesant sommeil
Fermé cet œil puissant respecté du Soleil.
Tel, retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,
L’Ange maudit pencha sa chevelure noire,
Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :
" Triste amour du péché ! sombres désirs du mal !
De l’orgueil, du savoir gigantesques pensées !
Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
Maudit soit le moment où j’ai mesuré Dieu !
Simplicité du cœur, à qui j’ai dit adieu !
Je tremble devant toi, mais pourtant je t’adore ;
Je suis moins criminel puisque je t’aime encore ;
Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas !
Loin de ce que j’étais, quoi ! j’ai fait tant de pas !