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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/58

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Et de moi-même à moi si grande est la distance,
Que je ne comprends plus ce que dit l’innocence ;
Je souffre, et mon esprit, par le mal abattu,
Ne peut plus remonter jusqu’à tant de vertu.

« Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?
Quand j’allais, le premier de ces Anges modestes,
Prier à deux genoux devant l’antique loi,
Et ne pensais jamais au delà de la foi ?
L’éternité pour moi s’ouvrait comme une fête ;
Et, des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête,
Je souriais, j’étais… J’aurais peut-être aimé ! »

Le Tentateur lui-même était presque charmé ;
Il avait oublié son art et sa victime,
Et son cœur un moment se reposa du crime.
Il répétait tout bas, et le front dans ses mains :
« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »

Ah ! si dans ce moment la Vierge eût pu l’entendre,
Si la céleste main qu’elle eût osé lui tendre
L’eût saisi repentant, docile à remonter…
Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d’exister.