Aller au contenu

Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et des fleuves aux mers le cours était réglé
Dans un ordre parfait qui n’était pas troublé.
Jamais un voyageur n’aurait, sous le feuillage,
Rencontré, loin des flots, l’émail du coquillage,
Et la perle habitait son palais de cristal :
Chaque trésor restait dans l’élément natal,
Sans enfreindre jamais la céleste défense ;
Et la beauté du monde attestait son enfance ;
Tout suivait sa loi douce et son premier penchant,
Tout était pur encor. Mais l’homme était méchant.

Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres,
Avaient vu jusqu’au fond des sciences obscures ;
Les mortels savaient tout, et tout les affligeait ;
Le prince était sans joie ainsi que le sujet ;
Trente religions avaient eu leurs prophètes,
Leurs martyrs, leurs combats, leurs gloires, leurs défaites,
Leur temps d’indifférence et leur siècle d’oubli ;
Chaque peuple, à son tour dans l’ombre enseveli,
Chantait languissamment ses grandeurs effacées :
La mort régnait déjà dans les âmes glacées.
Même plus haut que l’homme atteignaient ses malheurs :
D’autres êtres cherchaient ses plaisirs et ses pleurs.