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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/68

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Sur mon sein, sous mes bras repose encor ta tête,
Comme l’oiseau qui dort au sein de la tempête ;
Je te dirai l’instant où le ciel sourira,
Et durant le péril ma voix te parlera. »

La vierge sur son cœur pencha sa tête blonde ;
Un bruit régnait au loin, pareil au bruit de l’onde :
Mais tout était paisible et tout dormait dans l’air ;
Rien ne semblait vivant, rien, excepté l’éclair.
Le pasteur poursuivit d’une voix solennelle :
« Adieu, monde sans borne, ô terre maternelle !
Formes de l’horizon, ombrages des forêts,
Antres de la montagne, embaumés et secrets ;
Gazons verts, belles fleurs de l’oasis chérie,
Arbres, rochers connus, aspects de la patrie !
Adieu ! Tout va finir, tout doit être effacé,
Le temps qu’a reçu l’homme est aujourd’hui passé,
Demain rien ne sera. Ce n’est point par l’épée,
Postérité d’Adam, que tu seras frappée,
Ni par les maux du corps ou les chagrins du cœur ;
Non, c’est un élément qui sera ton vainqueur.
La terre va mourir sous des eaux éternelles,
Et l’ange en la cherchant fatiguera ses ailes.
Toujours succédera, dans l’univers sans bruits,
Au silence des jours le silence des nuits.
L’inutile soleil, si le matin l’amène,
N’entendra plus la voix et la parole humaine ;
Et quand sur un flot mort sa flamme aura relui,
Le stérile rayon remontera vers lui.