Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/78

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Sur le sommet d’Arar tous deux étaient encore,
Mais par l’onde et les vents battus depuis l’aurore.
Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin,
La vierge était tombée aux bras de l’orphelin ;
Et lui, gardant toujours sa tête évanouie,
Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie.
Cependant, lorsqu’enfin le soleil renaissant
Fit tomber un rayon sur son front innocent,
Par la beauté du jour un moment abusée,
Comme un lis abattu, secouant la rosée,
Elle entr’ouvrit les yeux et dit : « Emmanuel !
Avons-nous obtenu la clémence du ciel ?
J’aperçois dans l’azur la colombe qui passe,
Elle porte un rameau ; Dieu nous a-t-il fait grâce ?
— La colombe est passée et ne vient pas à nous.
— Emmanuel, la mer a touché mes genoux.
— Dieu nous attend ailleurs à l’abri des tempêtes.
— Vois-tu l’eau sur nos pieds ? — Vois le ciel sur nos têtes.
— Ton père ne vient pas ; nous serons donc punis ?
— Sans doute après la mort nous serons réunis.
— Venez, Ange du ciel, et prêtez-lui vos ailes !
— Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles ! »

Ce fut le dernier cri du dernier des humains.
Longtemps, sur l’eau croissante élevant ses deux mains,