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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/86

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— « Moi ! » dit-elle. Et ses yeux se remplirent de larmes.
Elle était jeune et belle, et la vie a des charmes.
Puis elle répondit : « Oh ! si votre serment
Dispose de mes jours, permettez seulement

« Qu’emmenant avec moi les vierges mes compagnes,
J’aille, deux mois entiers, sur le haut des montagnes,
Pour la dernière fois, errante en liberté,
Pleurer sur ma jeunesse et ma virginité ! »

« Car je n’aurai jamais, de mes mains orgueilleuses,
Purifié mon fils sous les eaux merveilleuses ;
Vous n’aurez pas béni sa venue, et mes pleurs
Et mes chants n’auront pas endormi ses douleurs ;

« Et, le jour de ma mort, nulle vierge jalouse
Ne viendra demander de qui je fus l’épouse,
Quel guerrier prend pour moi le cilice et le deuil :
Et seul vous pleurerez autour de mon cercueil. »

Après ces mots, l’armée assise tout entière
Pleurait, et sur son front répandait la poussière.
Jephté sous un manteau tenait ses pleurs voilés ;
Mais, parmi les sanglots, on entendit : « Allez. »

Elle inclina la tête et partit. Ses compagnes,
Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes,
Puis elle vint s’offrir au couteau paternel.
— Voilà ce qu’ont chanté les filles d’Israël.


Écrit en 1820.