Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/178

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insaisissable comme un fantôme, passait et repassait parmi les hommes, tant leurs visages étaient pâles, leurs yeux égarés, leurs têtes ramassées entre leurs épaules reployées, comme pour les cacher et les défendre. — Cependant un caractère de grandeur et de gravité sombre était empreint sur tous ces fronts menacés et jusque sur la face des enfants ; c’était comme ce masque sublime que nous met la mort. Alors les hommes s’écartaient les uns des autres ou s’abordaient brusquement comme des combattants. Leur salut ressemblait à une attaque, leur bonjour à une injure, leur sourire à une convulsion, leur habillement aux haillons d’un mendiant, leur coiffure à une guenille trempée dans le sang, leurs réunions à des émeutes, leurs familles à des repaires d’animaux mauvais et défiants, leur éloquence aux cris des halles, leurs amours aux orgies bohémiennes, leurs cérémonies publiques à de vieilles tragédies romaines manquées sur des tréteaux de province ; leurs guerres à des migrations de peuples sauvages et misérables, les noms du temps à des parodies poissardes.

Mais tout cela était grand, parce que, dans la cohue républicaine, si tout homme jouait au