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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/190

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Les pauvres Triumvirs dont nous parlons avaient profondément au cœur la conscience de leur dégradation morale. Chacun d’eux avait glissé dans une route meilleure, et chacun d’eux était quelque chose de manqué : l’un, avocat mauvais et plat ; l’autre, médecin ignorant ; l’autre, demi-philosophe ; un autre, cul-de-jatte, envieux de tout homme debout et entier.

Intelligences confuses et mérites avortés de corps et d’âme, chacun d’eux savait donc quel était le mépris public pour lui, et ces rois honteux, craignant les regards, faisaient luire la hache pour les éblouir et les abaisser à terre.

Jusqu’au jour où ils avaient établi leur autorité triumvirale et décemvirale, leur ouvrage n’avait été qu’une critique continuelle, calomniatrice, hypocrite et toujours féroce des pouvoirs ou des influences précédentes. Dénonciateurs, accusateurs, destructeurs infatigables, ils avaient renversé la Montagne sur la Plaine, les Danton sur les Hébert, les Desmoulins sur les Vergniaud, en présentant toujours à la Multitude régnante la Méduse des conspirations, dont toute Multitude est épouvantée, la croyant cachée dans son sang et dans ses veines. Ainsi, selon leur dire, ils avaient tiré du corps social