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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/194

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sonner à ma porte assez violemment, vers huit heures du matin.

J’avais alors pour domestique un grand flandrin de fort douce et paisible humeur qui avait été un terrible canonnier pendant dix ans, et qu’une blessure au pied avait mis hors de combat. Comme je n’entendis pas ouvrir, je me levai pour voir dans l’antichambre ce que faisait mon soldat. Il dormait, les jambes sur le poêle.

La longueur démesurée de ses jambes maigres ne m’avait jamais frappé aussi vivement que ce jour-là. Je savais qu’il n’avait pas moins de cinq pieds neuf pouces quand il était debout ; mais je n’en avais accusé que sa taille et non ses prodigieuses jambes, qui se développaient en ce moment dans toute leur étendue, depuis le marbre du poêle jusqu’à la chaise de paille d’où le reste de son corps et, en outre, sa tête maigre et longue s’élevaient, pour retomber en avant en forme de cerceau sur ses bras croisés. — J’oubliai entièrement la sonnette pour contempler cette innocente et heureuse créature dans son attitude accoutumée ; oui, accoutumée ; car depuis que les laquais dorment dans les antichambres, et cela date de la création des antichambres et des laquais,