Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/370

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l’ai vu. Depuis, encore, je l’ai revu dans des circonstances graves et grandes.

Aux cris tumultueux, aux jurements, aux longues vociférations, succédèrent des murmures plaintifs qui semblaient un sinistre adieu, de lentes et rares exclamations dont les notes prolongées, basses et descendantes, exprimaient l’abandon de la résistance et gémissaient sur leur faiblesse. La Nation, humiliée, ployait le dos et roulait par troupeaux entre une fausse statue, une Liberté qui n’était que l’image d’une image, et un réel Echafaud teint de son meilleur sang.

Ceux qui se pressaient voulaient voir ou voulaient s’enfuir. Nul ne voulait rien empêcher. Les bourreaux saisirent le moment. La mer était calme, et leur hideuse barque arriva à bon port. La Guillotine leva son bras.

En ce moment plus aucune voix, plus aucun mouvement sur toute l’étendue de la place. Le bruit clair et monotone d’une large pluie était le seul qui se fît entendre, comme celui d’un immense arrosoir. Les larges rayons d’eau s’étendaient devant mes yeux et sillonnaient l’espace. Mes jambes tremblaient : il me fut nécessaire d’être à genoux.