Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/381

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avec indifférence sur la place comme en un parc d’artillerie, les unes braquées contre le Louvre, les autres vers la rivière. Ils n’avaient dans les ordres qu’ils donnaient aucune intention décidée. Ils s’arrêtèrent et descendirent de cheval, ne sachant guère à la disposition de qui il venaient se mettre. Les canonniers se couchèrent à terre. Comme je m’approchais d’eux, j’en remarquai un, le plus fatigué peut-être, mais à coup sûr le plus grand de tous, qui s’était établi commodément sur l’affût de sa pièce et commençait à ronfler déjà. Je le secouai par le bras : c’était mon paisible canonnier, c’était Blaireau.

Il se gratta la tête un moment avec un peu d’embarras, me regarda sous le nez, puis, me reconnaissant, se releva de toute son étendue assez languissamment. Ses camarades, habitués à le vénérer comme chef de pièce, vinrent pour l’aider à quelque manœuvre. Il allongea un peu ses bras et ses jambes pour se dégourdir, et leur dit :

« Oh ! restez, restez ; allez, ce n’est rien : c’est le citoyen que voilà qui vient boire un peu la goutte avec moi. Hein ? »