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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/58

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et son protecteur. Pourquoi le sentiment du bien et du juste s’est-il établi dans mon cœur ? Mon cœur s’est gonflé sans mesure ; des torrents de haine en ont coulé, et se sont fait jour comme une lave. Les méchants ont eu peur ; ils ont crié, ils se sont tous levés contre moi. Comment voulez-vous que je résiste à tous, moi seul, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai rien au monde qu’une pauvre plume, et qui manque d’encre quelquefois ? »

Le bon archevêque n’y tint plus. Il y avait un quart d’heure qu’il tremblait et étendait les bras vers celui qu’il nommait déjà son enfant ; il se leva pesamment de son fauteuil et vint pour l’embrasser. Moi, qui tenais mes doigts sur ses yeux avec une constance inébranlable, je fus pourtant forcé de les ôter, parce que je sentais quelque chose qui les repoussait, comme si les paupières se fussent gonflées. A l’instant où je cessai de les presser, des pleurs abondants se firent jour entre mes doigts et inondèrent ses joues pâles. Des sanglots faisaient bondir son cœur, les veines du cou étaient grosses et bleues, et il sortait de sa poitrine de petites plaintes comme celles d’un enfant dans les bras de sa mère.