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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/71

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théâtres et ne chantent ni ne dansent la politique. Aussi je les aime ; mais qu’on ne me parle pas des autres. »

Comme je voulais insister et que j’entrouvrais la bouche pour répondre, il me prit doucement le bras, moitié riant et moitié sérieusement, et se mit à marcher avec moi, en se dandinant à sa manière, du côté de la porte de l’appartement. Il fallut bien suivre.

« Vous aimez donc les vers, Docteur ? — Je vais vous les dire aussi bien que ceux qui les font, tenez :

 
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que, pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l’État d’importantes personnes ;
Qu’avec leur plume ils font le destin des couronnes ;
Qu’au moindre petit bruit de leurs productions
Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;
Que sur eux l’univers a la vue attachée ;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu, trente ans, des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
A se bien barbouiller de grec et de latin
Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin