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Page:Vigny - Théâtre, II, éd. Baldensperger, 1927.djvu/345

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CHATTERTON.

est peu violent ; et, pour être si aimable, son âme est bien maternelle. N’importe, cela vaut mieux, et je ne la verrai plus. C’est convenu… autant eût valu me tuer. Un corps est aisé à cacher. — On ne le lui eût pas dit. Le quaker y eût veillé, il pense à tout. Et à présent, pourquoi vivre ? pour qui ?… — Pour qu’elle vive, c’est assez… Allons… arrêtez-vous, idées noires, ne revenez pas… Lisons ceci…

Il lit le journal.

« Chatterton n’est pas l’auteur de ses œuvres… Voilà qui est bien prouvé. — Ces poèmes admirables sont réellement d’un moine nommé Rowley, qui les avait traduits d’un autre moine du dixième siècle, nommé Turgot… Cette imposture, pardonnable à un écolier, serait criminelle plus tard… Signé… Bale… » Bale ? Qu’est-ce que cela ? que lui ai-je fait ? — De quel égout sort ce serpent ?

Quoi ! mon nom étouffé ! ma gloire éteinte ! mon honneur perdu ! — Voilà le juge !… le bienfaiteur ! Voyons, qu’offre-t-il ?

Il décachète la lettre, lit… et s’écrie avec indignation.

Une place de premier valet de chambre dans sa maison !…

Ah ! pays damné ! terre du dédain ! sois maudite à jamais !

Prenant la fiole d’opium.

Ô mon âme, je t’avais vendue ! je te rachète avec ceci.

Il boit l’opium.

Skirner sera payé ! — Libre de tous ! égal à tous, à présent ! — Salut, première heure de repos que j’aie goûtée ! — Dernière heure de ma vie, aurore du jour éternel,