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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/65

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l’auteur l’avait dérobée sans scrupule, et même sur un écrivain trop ingénieux pour être oublié. Mais, dans ce cadre vulgaire, avec plus d’esprit que Dufresny, Montesquieu pouvait jeter de la passion et de l’éloquence ; et quelquefois le génie du législateur se révélait au milieu des témérités du scepticisme et des jeux d’une imagination riante et libre. Le maître de Platon, le précepteur de la sagesse antique, avant de corriger les erreurs des hommes, avait cultivé les arts. Mais la grave antiquité remarqua toujours que les statues des trois Grâces qui sortirent du ciseau de Socrate jeune encore, étaient à demi voilées. Montesquieu n’a point imité cette pudeur. Nous n’oserons pas dire que, préoccupé du soin de retracer les coutumes des peuples, l’auteur des Lettres persanes se montrait seulement historien et moraliste dans la vive peinture de l’amour oriental ; ou, s’il en est ainsi, nous avouerons qu’il a porté bien loin l’emploi de cet art ingénieux qui soutient l’intérêt de la fiction par la vérité des mœurs. Mais avec quel charme cette vérité des mœurs ne s’unit-elle pas quelquefois sous sa plume à des images chastes et passionnées ? Un de ces Parsis proscrits sur leur terre natale retrace, avec l’exemple des grandes injustices de la société corrompue, le tableau de l’amour dans la simplicité des mœurs patriarcales. Le peintre qui reproduit avec tant de force la corruption sans politesse et le grossier despotisme de l’Orient, la corruption spirituelle et raffinée de l’Europe, se plaît à ces images puisées dans les mœurs poétiques de la société primitive.

On peut observer que les plus sérieux philosophes ont cherché dans les rêves de leur imagination le dédommagement des tristes connaissances qu’ils avaient acquises sur la vie humaine : comme si, plus on avait étudié ce monde incorrigible, plus on s’élançait vers un autre