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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/68

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il le fait naître des vertus d’un monarque absolu, fiction qui serait un blasphème, si Marc-Aurèle n’avait pas régné. Montesquieu écrit le roman d’Arsace et d’Isménie, où le despotisme légitimé par la vertu, orne des plus puissantes séductions, l’amour et la gloire, se consacre et s’enchaine au bonheur des humains.

Le despotisme ! Un législateur a-t-il employé son génie à l’éloge d’une pareille puissance ? Etait-ce un caprice de son imagination, un mensonge de sa conscience ? Pour lever ces doutes, il faut rappeler ce désespoir involontaire dans lequel sont tombés de grands et nobles génies, qui, mécontents de l’usage que les hommes faisaient de leur liberté, leur ont souhaité des maitres, et ont invoqué contre nos erreurs et nos crimes la terrible protection du pouvoir absolu. Ce vœu s’est rencontré dans les cœurs les plus bienfaisants, comme dans ces âmes austères qui, en jugeant l’humanité, semblaient la haïr. Platon[1], qui s’était si longtemps natté du projet d’une république parfaite, ne savait plus enfin désirer pour l’espèce humaine qu’un bon tyran aidé d’un bon législateur. Quelle injure pour le genre humain qu’un pareil vœu ait pu sortir d’une âme vertueuse, en présence de Sparte, à la vue des côtes de la Perse !

Dans cet ouvrage immortel que l’on a calomnié comme séditieux, parce que les maux des peuples y sont déplorés, Fénelon admet les monarchies absolues, et se réduit à enchainer par le charme de la bouté ces rois auxquels il abandonne la puissance illimitée du bien et du mal. Sésostris n’est qu’un despote, modéré par la justice et l’amour de la gloire : Idoménée n’est qu’un tyran corrigé par le malheur. Croira-t-on, cependant, que l’âme élevée de Fénelon ne conçut rien de préférable à l’usage tempéré

  1. Voir à la fin de l’Éloge, note B.