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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/77

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l’autre. Montesquieu en a donné plus d’un exemple qui décèle un rapport singulier entre son âme et ces grandes âmes de l’antiquité. Plutarque est la peinture des héros ; Tacite dévoile le cœur des tyrans ; mais, dans Plutarque ou dans Tacite, est-il une peinture égale à cette révélation du cœur de Sylla, se découvrant lui-même avec une orgueilleuse naïveté ? Comme œuvre historique, ce morceau est un incomparable modèle de l’art de pénétrer un caractère, et d’y saisir, à travers la diversité des actions, le principe unique et dominant qui faisait agir. C’est un supplément à la Grandeur et à la Décadence des Romains. Il s’est trouvé des hommes qui ont exercé tant de puissance sur les autres hommes, que leur caractère habilement tracé complète le tableau de leur siècle. C’était d’abord un heureux trait de vérité de bien saisir et de marquer l’époque où la vie d’un homme pût occuper une si grande place dans l’histoire des Romains. Cette époque est décisive. Montesquieu n’a présenté que Sylla sur la scène ; mais Sylla rappelle Marins, et il prédit César. Rome est désormais moins forte que les grands hommes qu’elle produit : la liberté est perdue ; et l’on découvre dans l’avenir tontes les tyrannies qui naîtront d’un esclavage passager, mais une fois souffert. Que dire de cette éloquence extraordinaire, inusitée, qui tient à l’alliance de l’imagination et de la politique, et prodigue a la fois les pensées profondes et les saillies d’enthousiasme ? éloquence qui n’est pas celle de Pascal, ni celle de Bossuet, sublime cependant, et tout animée de ces passions républicaines qui sont les plus éloquentes de toutes, parce qu’elles mêlent, à la grandeur des sentiments la chaleur d’une faction ?

Ces passions se confondent dans Sylla avec la fureur de la domination ; et de cet assemblage bizarre se forme ce sanguinaire et insolent mépris du genre humain, qui