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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/78

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respire dans le Dialogue d’Eucrate et de Sylla. Jamais le dédain n’a été rendu plus éloquent : il s’agit, en effet, d’un homme qui a dédaigné et, pour ainsi dire, rejeté la servitude des Romains. Cette pensée, qui semble la plus haute que l’imagination puisse concevoir, est la première que Montesquieu fasse sortir de la bouche de Sylla ; tant il est certain de surpasser encore l’étonnement qu’elle inspire ! « Eucrate, dit Sylla, si je ne suis plus en spectacle à l’univers, c’est la faute des choses humaines qui ont des bornes, et non pas la mienne… J’aime a remporter des victoires, a fonder ou détruire des États, à faire des ligues, à punir un usurpateur : mais pour ces minces détails de gouvernement, où les génies médiocres ont tant d’avantages, cette lente exécution des lois, cette discipline d’une milice tranquille, mon âme ne saurait s’en occuper. » L’âme de Sylla est déjà tout entière dans ces paroles ; et cette âme était plus atroce que grande. Peut-être Montesquieu a-t-il caché l’horreur du nom de Sylla sous le faste imposant de sa grandeur ; peut-être a-t-il trop secondé cette fatale et stupide illusion des hommes, qui leur fait admirer l’audace qui les écrase. Sylla parait plus étonnant par les pensées que lui prête Montesquieu que par ses actions mêmes. Cette éloquence renouvelle, pour ainsi dire, dans les âmes la terreur qu’éprouvèrent les Romains devant leur impitoyable dictateur. Comment jadis Sylla, charge de tant. de haines, osa-t-il abandonner l’asile de la tyrannie, et, simple citoyen, descendre sur la place publique qu’il avait inondée de sang ? Il vous répondra par un mot : « J’ai étonne les hommes. » Mais à cote de ce mot si simple et si profond, quelle menaçante peinture de ses victoires, de ses proscriptions ! quelle éloquence ! quelle vérité terrible ! Le problème est expliqué. On conçoit la puissance et l’impunité de Sylla.