Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/79

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Ce merveilleux talent d’expliquer, de peindre et de renouveler l’antiquité, ne paraîtrait pas tout entier, si l’on oubliait un de ces précieux fragments où l’homme supérieur révèle d’autant mieux sa force, qu’il la renferme et la resserre dans un espace plus borné ; et Montesquieu ne serait pas le peintre de l’antiquité le plus énergique et le plus vrai, s’il n’avait point retracé cette philosophie stoïcienne, la plus haute conception de l’esprit humain, et parmi les erreurs populaires du paganisme, la seule et la véritable religion des grandes âmes. Quand on aura lu l’hymne sublime que Cléanthe le stoïcien adressait à la divinité adorée sous tant de noms divers, au créateur qui a tout fait dans le monde, excepté le mal qui sort du cœur du méchant ; quand on aura médité dans Platon la résignation du juste condamné ; quand on saura par cœur les pensées d’Épictète et le règne de Marc-Aurèle, on devra s’étonner encore du langage retrouvé par Montesquieu dans l’épisode de Lysimaque. Ce spiritualisme altier, ce mépris de la terre, cet orgueil et cette joie de la douleur qui rendait les âmes invincibles, qui les rendait heureuses, toutes les grandeurs morales luttant contre la puissance d’Alexandre devenu cruel, Lysimaque réservé par les dieux pour consoler la terre, quelle leçon historique, quels acteurs, et quel intérêt ! Quelques pages ont suffi pour tout dire et tout peindre.

Cette admiration des grands caractères, cette haine de la tyrannie, que Montesquieu recueillait dans l’étude des anciens, transportées sur les temps modernes, auraient fait ressortir à nos yeux des âmes élevées auxquelles il n’a manqué que des peintres, et donneraient à notre histoire un caractère de gravité et de morale qu’elle n’a jamais connu. Montesquieu l’avait essayé : il n’a pas achevé l’éloge du maréchal de Berwick, qui méritait d’être peint comme les héros de Plutarque. Les fragments de ce travail sont