Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/92

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pousse avant toutes les autres, c’est l’idée que la religion chrétienne n’est pas propre à former des citoyens. Il croyait au contraire qu’elle était particulièrement la protectrice des monarchies tempérées ; il la concevait, il la voulait amie de la liberté comme des lois, n’imaginant pas sans doute que ce qu’il y a de plus noble, de plus grand sur la terre, puisse mal s’accorder avec un présent du ciel. La religion, malgré sa sublime origine, par l’extrémité qui touche aux choses humaines, doit éprouver comme elles des vicissitudes et des retours ; mais elle est le premier gage de la civilisation moderne qui, en s’unissant à sa divine existence, partage les promesses de sa durée, et semble échapper à la loi commune de la mortalité des empires.

Ce n’est pas sans un judicieux motif que Montesquieu, en distinguant les lois de tous les pays, avait pris soin aussi de reconnaître et de caractériser toutes les espèces différentes de lois qui régissent une même nation. Telles sont les bornes de la justice, ou plutôt de la prévoyance humaine, que pour devenir injuste et tyrannique, il lui suffit de sortir un moment du cercle rigoureux qu’elle s’était prescrit. Le droit naturel, le droit ecclésiastique, le droit politique, le droit civil, ne peuvent être substitués l’un à l’autre dans l’application, sans troubler la société par ces lois mêmes qui doivent la maintenir : idée simple et grande qui prouve que la nature des choses est plus forte encore que les lois, ou plutôt que les lois ne sont fortes qu’autant qu’elles s’y conforment et la reproduisent. Ce principe d’une immense étendue, explique et condamne toutes les bizarreries de quelques législations barbares, prévient les erreurs en indiquant leur source la plus commune, fixe la limite du pouvoir religieux, et arrête ses usurpations par sa nature même : mais, avant tout, il donne une garantie à la société en-