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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/21

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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

sa diction laborieuse. Avec plus de génie, il eût imité de plus près un tel modèle. Il lui emprunte surtout, comme dans son ode célèbre au comte du Luc, ce qui est le plus passager et tient le moins au cœur de l’homme, les souvenirs mythologiques, l’enveloppe de la fiction, le manteau et non la voix du prophète. Mais il ne lui prit jamais, et il ne sut produire, à son exemple, ni ces maximes de calme et de profonde sagesse qui rayonnent d’un éclat pur, au milieu des splendeurs poétiques, ni ces mouvements d’âme, ces rapides évolutions de pensées les plus vives qu’il y ait au monde, ni cette précision singulière en contraste avec l’abondance des images, ni ce mélange, ce choc rapide du sublime et du simple, du terme magnifique et du terme familier, ni cette propriété toute-puissante qui rend présent à tout ce que le poëte a vu dans son plus rare délire. Tout cela était loin de Rousseau, et du siècle nouveau qui s’annonçait.

À vrai dire, et pour faire notre aveu complet, même dans le grand siècle qui venait de finir, un seul homme nous semblerait avoir réuni en soi de tels dons et en offrir l’idée à l’homme de goût qui, n’ayant pas le temps de chercher Pindare dans sa langue, et ne le retrouvant pas dans nos versions modernes, voudrait à tout prix le concevoir et se le figurer par quelque frappante analogie, à peu près comme Saunderson, aveugle-né, voyait l’éclat de la pourpre dans le bruit retentissant du clairon. Ce type héréditaire de Pindare,