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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/358

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

sanglant triumvir, et que cette erreur ou cet oubli commença même sous son règne.

On ne peut l’expliquer que par la dégradation même des mœurs romaines, l’abaissement et la dureté des âmes. Des actes odieux d’Octave, des actes de tyran ou plutôt de bourreau, en souillant ses mains, ne flétrirent pas son nom, et n’empêchèrent pas que, lorsque son ambition assouvie se contenta de l’obéissance, sans prendre les biens et la vie, une acclamation de reconnaissance s’éleva presque dans tout l’empire. L’histoire nous transmet à cet égard un témoignage populaire que, bien des siècles après, la flatterie savante renouvelait pour Richelieu. « Auguste, dit Suétone, monté sur une galère, traversant le golfe de Naples et longeant la ville de Pouzzoles, fut salué de tous les points du rivage par les passagers et les matelots d’un navire venu d’Alexandrie, qui, tous couronnés de fleurs, s’écriaient, au milieu de l’encens des sacrifices : Par toi, César, nous vivons ; par toi, César, nous naviguons ; par toi, César, nous sommes libres et riches. »

L’adulateur moderne qui renouvelait ce souvenir pour l’inexorable cardinal, ajoutait : « Aux paroles de ces hommes obscurs, proférées sans contrainte et sans flatterie, César fut si touché que, par comparaison, il comptait pour peu les plus honorifiques décrets du sénat, les noms inscrits des nations subjuguées, les trophées qu’on lui élevait et ses propres triomphes. »