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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/531

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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

pas, comme Byron, couru le monde barbare et voluptueux de l’Asie pour y ramasser des images, et, s’il est possible, des accidents nouveaux de la nature et du cœur. Il n’aura pas à plaisir désordonné sa vie pour la rendre poétique, et tiré des nuits de Venise, des conciliabules de Ravenne ou des orages de l’Épire quelque rajeunissement pour l’imagination. Il n’a pas eu non plus cette glorieuse fin de Byron, qui rachète ses fautes et absout sa vie : celle de Gray a été simple, unie, obscure, indifférente aux hommes, qu’elle n’a scandalisés d’aucun tort, agités d’aucune ambition, étonnés ou avertis par aucun grand effort. Elle n’a pas été inutile, cependant ; elle n’a point passé stérilement sur la terre : elle y a donné à qui saura le chercher l’exemple de l’amour des lettres dans son pur et noble idéal ; elle y a relevé le culte de l’art, la statue de la grande poésie. Aussi cette mémoire ne périra pas. La gloire bruyante et mêlée de Byron, sa personnalité mixte de modèle et de peintre, ses aventures et son génie, ses velléités d’héroïsme, ses caprices effrénés d’abandon et de licence, Child-Harold, Lara, le Corsaire, son épopée sardonique de Don Juan et son Mystère de Caïn, n’effaceront pas l’Ode au collége d’Éton, l’Ode à l’Adversité, le Barde, les Fatales Sœurs, et l’Elégie écrite dans un cimetière de village.

Telle est la puissance du vrai beau et de la poésie durable. On sait que Gray, déjà classiquement érudit, et plein du spectacle et des souvenirs littéraires de la