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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/554

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

cessait, et que tout semblait paisible et brillant, lorsque la France couvrait son front cicatrisé et sanglant sous des palmes de gloire, et qu’avançant irrésistible, son bras se jouait des guerriers en ligne, à l’heure où, jetant de timides regards de haine, la trahison domestique effaçait, en l’écrasant, sa trace fatale, et, comme un dragon blessé, se repliait dans son sang, alors j’accusais mes craintes qui ne voulaient pas se dissiper. Bientôt, disais-je, la sagesse fera pénétrer ses leçons dans les humbles cabanes de ceux qui travaillent et gémissent ; et, conquérante par l’exemple de son bonheur, la France forcera les nations d’être libres, jusqu’à ce que l’amour et la joie paraissent à l’entour et nomment la terre leur domaine.

Pardonne-moi, ô liberté ! pardonne ces rêves : j’entends ta voix, j’entends ta forte plainte sortir des cavernes glacées de la blanche Helvétie ; j’entends tes soupirs versés sur les fleuves teints de sang. Héros qui pour votre pacifique contrée avez péri, et vous qui, fuyant, avez taché de vos blessures les neiges de vos montagnes, pardonnez-moi d’avoir jamais nourri en moi une pensée de bénédiction pour vos ennemis !

Semer la rage et le crime avec toutes ses trahisons là où la paix avait élevé sa discrète demeure, déshériter une race citoyenne de tout ce qui lui rendait si chères ses orageuses solitudes, souiller