Page:Villey - Les Sources et l’évolution des Essais de Montaigne, tome 1.djvu/19

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— 9 — Grâce à ses devanciers, il lui est permis de puiser assez librement aux sources de la morale payenne. Dans la philosophie morale des anciens, il y avait deux choses : il y avait une psychologie merveilleuse, et une méthode. La méthode était diamétralement opposée à l’esprit du christianisme ; la psychologie ne l’était pas, elle pouvait devenir une alliée. Mieux connaître le cœur humain et ses divers ressorts était très précieux pour des moralistes chrétiens ; ils pouvaient, avec avantage sur ce point, demander des leçons aux payens. Si Calvin s’oppose à Montaigne par les principes de sa morale, dans la diffusion des trésors de la psychologie ancienne, il est un de ses devanciers, il doit aux anciens sa pénétrante connaissance de l’homme. Et comme Calvin l’a précédé dans cette voie, saint François de Salles l’y suivra : il s’inspirera souvent de Montaigne, et ce qu’il lui prendra c’est sa psychologie. Mais le danger était qu’on ne sût pas se limiter, et qu’en demandant aux anciens leur psychologie, on ne pût s’empêcher de leur prendre aussi peu à peu leur méthode. Il était à craindre qu’à force de raisonner comme eux sur les faits de la vie, peu à peu on n’en vint à organiser toute la vie d’après la raison ; c’est ce qui s’est produit. Dès l’origine de la Renaissance, les grands humanistes ont eu immédiatement conscience qu’il y avait, enfouis dans les livres de Sénèque, de Plutarque et de quelques autres, des trésors de morale, et qu’il était impossible de les laisser perdre ; il fallait que l’humanité en pût jouir. Aussitôt Erasme, Vives, même Budé, se sont mis à l’exploiter et tout de suite leur thèse, qu’on rencontre en plusieurs endroits chez Érasme, a été qu’il y avait entente possible entre la morale ancienne et la morale chrétienne, que celle-ci, en restant pleinement maîtresse, pouvait parfaitement se faire une auxiliaire de celle-là. De fait, nous avons exagéré tout à l’heure, afin de le faire mieux sentir, le contraste entre les deux morales. Il est bien vrai que le fondement de la morale chrétienne est dans l’autorité, et que le fondement de la morale payenne est dans le fait de conscience et dans la raison ; mais jamais, même au Moyen âge, pour répandre sa morale révélée, l’Eglise n’a manqué de s’aider du sentiment de conscience et de la raison : ce sont des forces trop précieuses pour qu’on les néglige dans la pratique. Même dans l’interprétation de la révéla-