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Page:Vladimir Soloviev - La Russie et l Eglise Universelle, Stock, 1922.djvu/19

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sa religion et qui reste païenne — non pas dans sa vie seulement, mais quant à la loi de sa vie.

Ce dualisme est une faillite morale et non pas une inconséquence logique. On l’aperçoit bien au caractère hypocrite et sophistique des arguments employés ordinairement pour défendre cet état de choses. « L’esclavage et les peines cruelles — disait il y a trente ans un évêque célèbre en Russie — ne sont pas contraires à l’esprit du Christianisme : car la souffrance physique ne nuit pas au salut de l’âme, objet unique de notre religion. » Comme si la souffrance physique infligée à des hommes par un autre homme ne supposait pas dans celui-ci une dépravation morale, un acte d’injustice et de cruauté certainement dangereux pour le salut de son âme. En admettant même — ce qui est absurde — que la société chrétienne puisse être insensible aux souffrances des opprimés, peut-elle être indifférente au péché des oppresseurs ? C’est là la question.

L’esclavage économique, plus encore que l’esclavage proprement dit, a trouvé des défenseurs dans le monde chrétien, « La société et l’État, disent-ils, ne sont nullement obligés de prendre des mesures générales et régulières contre le paupérisme ; l’aumône volontaire suffit : le Christ n’a-t-il pas dit qu’il y aura toujours des pauvres sur la terre ? » Oui il y aura toujours des pauvres,