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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/390

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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.


Anet, mercredi 16 août 1747.

... Nos revenants ne se montrent point de jour ; ils apparurent hier à dix heures du soir : je ne pense pas qu’on les voie guère plus tôt aujourd’hui : l’un est à décrire de hauts faits[1], l’autre à commenter Newton ; ils ne veulent ni jouer ni se promener : ce sont bien des non-valeurs dans une société, où leurs doctes écrits ne sont d’aucun rapport. Voici bien pis : l’apparition de ce soir a produit une déclamation véhémente contre la licence de se choisir des tableaux au cavagnole[2] : cela a été poussé sur un ton qui nous est tout à fait inouï, et soutenu avec une modération non moins surprenante ; mais ce qui ne se peut endurer, ma reine, c’est l’excès de ma bavarderie. Je vous fais pourtant grâce de ma métaphysique. Pour répondre sur cet article, il faudrait que je susse plus nettement ce que vous entendez par la nature, par démontrer. Ce qui sert de principe et de règle de conduite n’est pas au rang des choses démontrées, à ce qu’il me semble, et n’en est pas moins d’usage. Adieu, ma reine, en voilà beaucoup trop.


Anet, 20 août 1747.

Vous ne vous portez pas bien, vous menez une vie triste ; cela me fâche, ma reine. J’ai envie que vous fassiez votre voyage de Montmorency ; quoique cela ne soit pas gai, c’est toujours une diversion : elle ne manque pas ici à nos ennuis ; c’est le flux et reflux qui emporte nos compagnies et nous en ramène d’autres ; les Maillebois, les Villeneuve sont partis ; est arrivée Mme Dufour, exprès pour jouer le rôle de Mme Barbe, gouvernante de Mlle de La Cochonnière, et, je crois, en même temps servante de basse-cour du baron de La Cochonnière. Voilà le nom que vous n’avez pu lire. Je crois en effet, ma reine, que vous avez bien de la peine à me déchiffrer. Nous attendons demain les Estillac, au nombre de quatre, car Mme de Vogué et M. de Menou en sont. Mme de Valbelle nous est aussi arrivée ; la Malause s’est promise pour demain. Le cousin Soquence, aussi fier chasseur que Nemrod, n’est pas encore venu, et toutes nos chasses sont sans succès. La duchesse parle d’aller à Navarre[3], et ne peut s’y résoudre : M. de Bouillon la presse, dit-elle ; si elle y va, elle n’y sera guère : c’est un prodige de douceur et de complaisance, elle ne manque pas une promenade. La pauvre Saint-Pierre[4], mangée de goutte, souffrant le martyre, s’y traîne tant qu’elle peut, mais non pas avec moi, qui ne vais pas sur terre, et semble un hydrophobe quand je suis sur l’eau.

  1. Allusion à l’Épître sur la victoire de Lawfeld, que Voltaire adressa à la duchesse du Maine.
  2. « Sorte de jeu de hasard, où les joueurs ont des tableaux, et tirent les boules chacun à son tour. » (Dict. de l’Académie.)
  3. Château près d’Évreux, appartenant à la maison de Bouillon, et aujourd’hui détruit. Il a été chanté par Rulhières.
  4. Marguerite-Thérèse Colbert de Croissy (1682-1769), veuve, en 1702, du marquis de Resnel, et remariée, en 1704, au duc de Saint-Pierre.