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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/391

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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Mme du Châtelet est d’hier à son troisième logement : elle ne pouvait plus supporter celui qu’elle avait choisi ; il y avait du bruit, de la fumée sans feu (il me semble que c’est son emblème). Le bruit, ce n’est pas la nuit qu’il l’incommode, à ce qu’elle m’a dit, mais le jour, au fort de son travail : cela dérange ses idées. Elle fait actuellement la revue de ses Principes : c’est un exercice qu’elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s’échapper, et peut-être s’en aller si loin qu’elle n’en retrouverait pas un seul. Je crois bien que sa tête est pour eux une maison de force, et non pas le lieu de leur naissance : c’est le cas de veiller soigneusement à leur garde. Elle préfère le bon air de cette occupation à tout amusement, et persiste à ne se montrer qu’à la nuit close. Voltaire a fait des vers galants qui réparent un peu le mauvais effet de leur conduite inusitée…

Anet, 24 août 1747.

J’espérais quelque chose de vous aujourd’hui, ma reine : je n’ai rien. Je vous crois à Montmorency ; vous n’aurez aussi presque rien de moi, car le temps me manque. Vous saurez seulement que nos deux ombres, croquées par M. de Richelieu, disparaîtront demain ; il ne peut aller à Gênes[1] sans les avoir consultées : rien n’est si pressant. La comédie qu’on ne devait voir que demain sera vue aujourd’hui, pour hâter le départ. Je vous rendrai compte du spectacle et des dernières circonstances du séjour ; mais, je vous prie, ne laissez pas traîner mes lettres sur votre cheminée…

Anet, dimanche 27 août 1747.

… Je vous ai mandé jeudi que nos revenants partaient le lendemain et que la pièce se jouait le soir : tout cela s’est fait. Je ne puis vous rendre Boursoufle que mincement. Mlle de La Cochonnière a si parfaitement exécuté l’extravagance de son rôle que j’y ai pris un vrai plaisir. Mais Venture n’a mis que sa propre fatuité au personnage de Boursoufle, qui demandait au delà ; il a joué naturellement dans une pièce où tout doit être aussi forcé que le sujet. Paris a joué en honnête homme le rôle de Maraudin, dont le nom exprime le caractère. Motel a bien fait le baron de La Cochonnière, d’Estillac un chevalier, Duplessis un valet. Tout cela n’a pas mal été, et l’on peut dire que cette farce a été bien rendue ; l’auteur l’a annoblie d’un prologue qu’il a joué lui-même, et très-bien, avec notre Dufour, qui, sans cette action brillante, ne pouvait digérer d’être Mme Barbe ; elle n’a pu se soumettre à la simplicité d’habillement qu’exigeait son rôle, non plus que la principale actrice, qui, préférant les intérêts de sa figure à ceux de la pièce, a paru sur le théâtre avec tout l’éclat et l’élégante parure d’une dame de la cour : elle a eu sur ce point maille à partir avec Voltaire ; mais c’est la sou-

  1. Le duc de Richelieu avait été appelé à remplacer, comme gouverneur de Gênes, le duc de Boufflers, mort de la petite vérole, le 2 Juillet 1747, après avoir forcé les Anglais à se rembarquer.