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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/490

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Son élévation ne fut pour elle qu’une retraite. Renfermée dans son appartement, qui était de plain-pied à celui du roi, elle se bornait à une société de deux ou trois dames retirées comme elle ; encore les voyait-elle rarement. Le roi venait tous les jours chez elle après son dîner, avant et après le souper, et y demeurait jusqu’à minuit. Il y travaillait avec ses ministres, pendant que Mme de Maintenon s’occupait à la lecture, ou à quelque ouvrage des mains, ne s’empressant jamais de parler d’affaires d’État, paraissant souvent les ignorer, rejetant bien loin tout ce qui avait la plus légère apparence d’intrigue et de cabale ; beaucoup plus occupée de complaire à celui qui gouvernait que de gouverner, et ménageant son crédit en ne l’employant qu’avec une circonspection extrême. Elle ne profita point de sa place pour faire tomber toutes les dignités et tous les grands emplois dans sa famille. Son frère, le comte d’Aubigné, ancien lieutenant général, ne fut pas même maréchal de France. Un cordon bleu, et quelques parts secrètes[1] dans les fermes générales, furent sa seule fortune ; aussi disait-il au maréchal de Vivonne, frère de Mme de Montespan, « qu’il avait eu son bâton de maréchal en argent comptant ».

Le marquis de Villette, son neveu, ou son cousin[2], ne fut que chef d’escadre. Mme de Caylus, fille de ce marquis de Villette, n’eut en mariage qu’une pension modique donnée par Louis XIV. Mme de Maintenon, en mariant sa nièce d’Aubigné au fils du premier maréchal de Noailles[3], ne lui donna que deux cent mille francs : le roi fit le reste. Elle n’avait elle-même que la terre de Maintenon, qu’elle avait achetée des bienfaits du roi[4]. Elle voulut que le public lui pardonnât son élévation en faveur de son désin-

  1. Voyez les Lettres à son frère : « Je vous conjure de vivre commodément, et de manger les dix-huit mille francs de l’affaire que nous avons faite : nous en ferons d’autres. » (Note de Voltaire.)
  2. Philippe de Valois, marquis de Villette-Murcay, mort le 25 décembre 1707, à soixante et quinze ans, était fils d’Artémise d’Aubigné, qui était fille de Théodore-Agrippa d’Aubigné, et conséquemment tante de Mme de Maintenon. Le marquis de Villette, cousin de cette dernière, épousa en secondes noces, après 1691, Marie-Claire-Isabelle Deschamps de Marsilly, laquelle, devenue veuve, épousa Bolingbroke. (B.)
  3. Le compilateur des Mémoires de madame de Maintenon dit, tome IV, page 200 : « Rousseau, vipère acharnée contre ses bienfaiteurs, fit des couplets satiriques contre le maréchal de Noailles. » Cela n’est pas vrai : il ne faut calomnier personne. Rousseau, très-jeune alors, ne connaissait pas le premier maréchal de Noailles. Les chansons satiriques dont il parle étaient d’un gentilhomme nommé de Cabanac, qui les avouait hautement. (Note de Voltaire.)
  4. Voyez la troisième partie du Supplément au Siècle de Louis XIV.