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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/491

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SUITE DES ANECDOTES.

téressement. La seconde femme du marquis de Villette, depuis Mme de Bolingbroke, ne put jamais rien obtenir d’elle. Je lui ai souvent entendu dire qu’elle avait reproché à sa cousine le peu qu’elle faisait pour sa famille, et qu’elle lui avait dit en colère : « Vous voulez jouir de votre modération, et que votre famille en soit la victime. » Mme de Maintenon oubliait tout quand elle craignait de choquer les sentiments de Louis XIV. Elle n’osa pas même soutenir le cardinal de Noailles contre le P. Le Tellier. Elle avait beaucoup d’amitié pour Racine ; mais cette amitié ne fut pas assez courageuse pour le protéger contre un léger ressentiment du roi. Un jour, touchée de l’éloquence avec laquelle il lui avait parlé de la misère du peuple, en 1698, misère toujours exagérée, mais qui fut portée réellement depuis jusqu’à une extrémité déplorable, elle engagea son ami à faire un mémoire qui montrât le mal et le remède. Le roi le lut, et en ayant témoigné du chagrin, elle eut la faiblesse d’en nommer l’auteur, et celle de ne le pas défendre. Racine, plus faible encore, fut pénétré d’une douleur qui le mit depuis au tombeau[1].

Du même fonds de caractère dont elle était incapable de rendre service, elle l’était aussi de nuire. L’abbé de Choisy rapporte que le ministre Louvois s’était jeté aux pieds de Louis XIV pour l’empêcher d’épouser la veuve Scarron. Si l’abbé de Choisy savait ce fait, Mme de Maintenon en était instruite, et non-seulement elle pardonna à ce ministre, mais elle apaisa le roi dans les mouvements de colère que l’humeur brusque du marquis de Louvois inspirait quelquefois à son maître[2].

  1. Ce fait a été rapporté par le fils de l’illustre Racine, dans la Vie de son père. (Note de Voltaire.) — Voyez Œuvres complètes de Racine, édition de Saint-Marc Girardin et Louis Moland, tome V, pages lvi-lvii.
  2. Qui croirait que, dans les Mémoires de madame de Maintenon, tome III, page 273, il est dit que ce ministre craignait que le roi ne l’empoisonnât ? Il est bien étrange qu’on débite à Paris des horreurs si insensées, à la suite de tant de contes ridicules.
    Cette sottise atroce est fondée sur un bruit populaire qui courut à la mort du marquis de Louvois. Ce ministre prenait des eaux (de Balaruc) que Séron, son médecin, lui avait ordonnées, et que La Ligerie, son chirurgien, lui faisait boire. C’est ce même La Ligerie qui a donné au public le remède qu’on nomme aujourd’hui la poudre des Chartreux. Ce La Ligerie m’a souvent dit qu’il avait averti M. de Louvois qu’il risquait sa vie s’il travaillait en prenant des eaux. Le ministre continua son travail : il mourut presque subitement le 16 juillet 1691, et non pas en 1692, comme le dit l’auteur des faux Mémoires, La Ligerie l’ouvrit, et ne trouva d’autre cause de sa mort que celle qu’il avait prédite. On s’avisa de soupçonner le médecin Séron d’avoir empoisonné une bouteille de ces eaux. Nous avons vu combien ces funestes soupçons étaient alors communs. On prétendit qu’un prince