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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/444

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ART DRAMATIQUE.

Le discours que tient Hercule à Pluton paraît digne de la grandeur du sujet (acte IV, scène v) :

Si c’est te faire outrage

D’entrer par force dans ta cour,
Pardonne à mon courage,
Et fais grâce à l’amour.

La charmante tragédie d’Atys, les beautés, ou nobles, ou délicates, ou naïves, répandues dans les pièces suivantes, auraient dû mettre le comble à la gloire de Quinault, et ne firent qu’augmenter celle de Lulli, qui fut regardé comme le dieu de la musique. Il avait en effet le rare talent de la déclamation : il sentit de bonne heure que la langue française étant la seule qui eût l’avantage des rimes féminines et masculines, il fallait la déclamer en musique différemment de l’italien. Lulli inventa le seul récitatif qui convînt à la nation, et ce récitatif ne pouvait avoir d’autre mérite que celui de rendre fidèlement les paroles. Il fallait encore des acteurs, il s’en forma ; c’était Quinault qui souvent les exerçait, et leur donnait l’esprit du rôle et l’âme du chant. Boileau (satire x, 141-42) dit que les vers de Quinault étaient des

. . . . Lieux communs de morale lubrique,
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.

C’était au contraire Quinault qui réchauffait Lulli. Le récitatif ne peut être bon qu’autant que les vers le sont : cela est si vrai qu’à peine, depuis le temps de ces deux hommes faits l’un pour l’autre, y eût-il à l’Opéra cinq ou six scènes de récitatif tolérables.

Les ariettes de Lulli furent très-faibles ; c’étaient des barcarolles de Venise. Il fallait, pour ces petits airs, des chansonnettes d’amour aussi molles que les notes. Lulli composait d’abord les airs de tous ces divertissements ; le poëte y assujettissait les paroles. Lulli forçait Quinault d’être insipide ; mais les morceaux vraiment poétiques de Quinault n’étaient certainement pas des lieux communs de morale lubrique. Y a-t-il beaucoup d’odes de Pindare plus fières et plus harmonieuses que ce couplet de l’opéra de Proserpine ? (Acte I, scène i.)

Les superbes géants, armés contre les dieux,

<poem style="font-size:90%; margin:0 0 0 8.25em">Ne nous donnent plus d’épouvante ;