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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/483

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ATHÉISME.

cher avec la femme de César, ni César à être le giton du roi Nicomède.

Cicéron ne dit point que Mercure excita Verrès à voler la Sicile, quoique Mercure, dans la fable, eût volé les vaches d’Apollon. La véritable religion des anciens était que Jupiter, très-bon et très-juste, et les dieux secondaires, punissaient le parjure dans les enfers. Aussi les Romains furent-ils très-longtemps les plus religieux observateurs des serments. La religion fut donc très-utile aux Romains. Il n’était point du tout ordonné de croire aux deux œufs de Léda, au changement de la fille d’Inachus en vache, à l’amour d’Apollon pour Hyacinthe.

Il ne faut donc pas dire que la religion de Numa déshonorait la Divinité. On a donc longtemps disputé sur une chimère, et c’est ce qui n’arrive que trop souvent.

On demande ensuite si un peuple d’athées peut subsister ; il me semble qu’il faut distinguer entre le peuple proprement dit et une société de philosophes au-dessus du peuple. Il est très-vrai que par tout pays la populace a besoin du plus grand frein, et que si Bayle avait eu seulement cinq à six cents paysans à gouverner, il n’aurait pas manqué de leur annoncer un Dieu rémunérateur et vengeur. Mais Bayle n’en aurait pas parlé aux épicuriens, qui étaient des gens riches, amoureux du repos, cultivant toutes les vertus sociales, et surtout l’amitié, fuyant l’embarras et le danger des affaires publiques, menant enfin une vie commode et innocente. Il me paraît qu’ainsi la dispute est finie, quant à ce qui regarde la société et la politique.

Pour les peuples entièrement sauvages, on a déjà dit[1] qu’on ne peut les compter ni parmi les athées ni parmi les théistes. Leur demander leur croyance, ce serait autant que leur demander s’ils sont pour Aristote ou pour Démocrite : ils ne connaissent rien ; ils ne sont pas plus athées que péripatéticiens.

Mais on peut insister ; on peut dire : Ils vivent en société, et ils sont sans Dieu : donc on peut vivre en société sans religion.

En ce cas, je répondrai que les loups vivent ainsi, et que ce n’est pas une société qu’un assemblage de barbares anthropophages tels que vous les supposez ; et je vous demanderai toujours si, quand vous avez prêté votre argent à quelqu’un de votre société, vous voudriez que ni votre débiteur, ni votre procureur, ni votre notaire, ni votre juge, ne crussent en Dieu.

  1. Dans la Philosophie de l’histoire (devenue Introduction de l’Essai sur les Mœurs), tome XI, page 11.