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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/554

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344 PRIX DE LA JUSTICE

Le code de Chaiies-Quint, connu sous le titre de la Caroline, veut qu'on ne condamne la mère au supplice qu'en cas que l'enfant soit venu au monde en vie.

La loi d'Angleterre, encore moins sévère, veut que la mère échappe à la condamnation, si elle trouve un seul témoin qui dépose qu'elle est accouchée d'un enfant mort.

La contradiction qui règne entre ces lois ne fait-elle pas soup- çonner qu'elles ne sont pas honnes, et qu'il eût bien mieux valu doter les hôpitaux, où l'on eût secouru toute personne du sexe qui se fût présentée pour accoucher secrètement ? Par là on aurait à la fois sauvé l'honneur des mères et la vie des enfants.

Trop souvent un prince ne manque point d'argent pour faire une guerre injuste, qui dévaste et qui ensanglante une moitié de l'Europe; mais il en manque pour les établissements les plus nécessaires, qui consoleraient le genre humain.

��elle accouche d'uu enfant mort; présumer le crime; punir non le délit, puisqu'on n'attend pas qu'il soit prouvé, mais la désobéissance à une loi cruelle et arbitraire, c'est violer à la fois la justice, la raison, l'humanité. Et pourquoi? pour prévenir un crime qu'on ne peut commettre qu'en étouffant les sentiments de la nature, qu'en s'exposant à des accidents mortels. Cependant ce ne sont point les mal- heureuses qui commettent ce crime que l'on en doit accuser, c'est le préjugé barbare qui les condamne à la honte et à la misère si leur faute devient publique; c est la morale ridicule qui perpétue ce préjugé dans le peuple. Le moyen que propose M. de Voltaire est le seul raisonnable ; mais il faudrait que ces hôpitaux fussent dirigés par des médecins qui ne verraient, dans les infortunées confiées à leurs soins, que des femmes coupables d'une faute légère, déjà trop expiée par ses suites. Il faudrait qu'on y fût assuré du secret, que les soins qu'on y prendrait des accouchées ne fussent point bornés à quelques jours ; qu'elles pussent, si elles n'avaient point d'autre ressource, rester dans l'hôpital comme ouvrières ou comme nourrices. On pourrait, eu retenant les enfants dans ces maisons jusqu'à un âge fixé, et en leur apprenant des métiers, et surtout des métiers nécessaires à la consommation de la maison, en y attachant des jardins, des terres qu'ils culti- veraient, rendre leur éducation très-peu coûteuse, épargner de quoi donner des dots aux garçons et aux filles si, en sortant de la maison, ils se mariaient à une fille ou à un garçon qui aurait été élevé comme eux. Ces mariages auraient l'avan- tage d'épargner à ces infortunés les dégoûts auxquels leur état les expose parmi le peuple. Au lieu d'empêcher les legs faits aux bâtards, il faudrait que la loi accordât à tout bâtard reconnu une portion dans les biens du père et de la mère. Il faudrait permettre les dispositions en faveur des concubines ou mères d'un eafant reconnu, ou résidentes dans la maison d'un homme libre ; défendre aux juges d'admettre dans aucun cas contre une donation l'allégation qu'elle a eu pour cause une liaison de ce genre; ne point avoir d'autres lois, une autre police contre les courtisanes que contre les autres citoyens domiciliés. Telles sont les seules lois de ce genre qui pourraient empêcher la corruption des mœurs qu'en- traîne l'inégalité des fortunes. Mais celles que la bigoterie, la tyrannie des pères de famille, le mépris pour la faiblesse et l'indigence, et surtout l'avidité des gens de police, ont imaginées, ne font que rendre la corruption plus générale, plus crapuleuse, et plus funeste. (K.)

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